Représentations symboliques de la cathédrale de Metz, 2ième partie

Ce dimanche matin à été pluvieux, voilà alors la suite du billet sur les représentations symboliques du portail de la vierge de la cathédrale St-Etienne de Metz.

Dans la première partie, nous avons vu l’usage du tétramorphe pour identifier les évangélistes puis les représentations des quatre fleuves du paradis et des quatre vents de la Terre.

Nous avons ensuite deux groupes de quatre animaux réels ou imaginaires : (cliquez pour les voir en haute définition)

symboles_bestiaire1.jpg
symboles_bestiaire2.jpg


En réalité au moyen-âge, ces animaux n’ont rien d’imaginaire. Ils sont décrits et illustrés dans des bestiaires comme le Physiologos dès le IIième siècle ou encore par Pline L’Ancien (23-79). Son Histoire Naturelle en 37 volume est la référence scientifique médiévale.

Les bestiaires médiévaux développent largement l’aspect moral et allégorique de chaque animal. Les interprétations peuvent être variables d’un auteur à l’autre, ou au cours du temps.

À notre gauche nous commençons par le lion : il s’agit du roi des animaux. Certes, c’est un animal exotique pour l’occident chrétien mais il doit remplacer l’ours plus occidental mais trop répandu dans les mythologies païenne. Il est le premier à monter dans l’arche de Noë. Il représente le Christ.

Il est suivi par l’aigle. Le seul animal capable de s’élever vers le soleil en le regardant. C’est l’élévation de l’âme.

Vient ensuite le phénix. Cet animal capable de renaître de ses cendres représenta parfaitement la résurrection.

Pour terminer ce côté nous avons le pélican. Les auteurs médiévaux pensaient qu’il nourrissait ses enfants de ses propres entrailles. Il représente le sacrifice du Christ.

symbole_pelican.jpg

Hugues de Fouilloy, De avibus - Dernier quart du XIIe siècle

http://expositions.bnf.fr/bestiaire/grand/m_01_tro.htm

En face les animaux sont facilement identifiables : un dragon, une baleine, une colombe et un éléphant.

Le dragon représente le mal. La baleine, ou le grand poisson, qui a avalée Jonas pendant trois jours pour avoir désobéi à Dieu, représente les ténèbres. On peut directement l’opposer à la paix sur Terre représenté par la colombe avec le rameau d’olivier qui annonce la fin du déluge. De la même façon on peut opposer l’éléphant au dragon. L’éléphant est le bien capable d’écraser le mal par son poids. On retrouve cette illustration dans l’Histoire naturelle de Pline :

“… on fait confusion avec la substance appelée par les Indiens cinabre, et qui est la sanie du dragon écrasé par le poids de l’éléphant mourant, …” - Pline l’Ancien à propos de la couleur rouge.

On peut également y trouver un autre sens : la représentation des quatre éléments qui constituent le monde : le dragon pour le feu, la baleine pour l’eau, la colombe pour l’air et l’éléphant pour la terre.

symbole_physiologus_elephant_dragon.jpg

Dragon et éléphant, Physiologus - Angleterre, 3e quart du XIIIe siècle

http://expositions.bnf.fr/bestiaire/grand/11_05_bnf.htm

Le bestiaire et suivi par trois dernières figures :

symboles_vertues1.jpg
symboles_vertues2.jpg



Les deux plus proches de la vierge sont facilement identifiables. À droite de la vierge, à notre gauche en tant que spectateur : un ange porte un soleil. À gauche de la vierge l’ange porte la lune. Nous avons déjà vu un sens de ces symboles sur la bible portée par la statue du pape Grégoire 1er. La droite de la vierge est positive, la gauche négative. On peut donc y voir les symboles pour le jour et la nuit, le nouveau et l’ancien testament, … On notera également les armes de la vierge : couronne et fleur de lys.

Les personnages peuvent apparaître plus énigmatiques. Il s’agit des quatre vertues cardinales.

À gauche avec les yeux bandés, c’est la justice. Les yeux bandés sont le symbole de son impartialité.

La personne qui verse un peu d’eau dans une coupe (de l’eau dans son vin) est la tempérance : notre capacité à trouver le juste milieu avec nos plaisirs sensuels comme le défini Aristote ( 384-322 avant JC ) dans l’Éthique à Nicomaque - Livre III - chapitre 13.

En face, l’homme à l’épée - le “romain” comme le définissent mes fils, est la force ou le courage.

Pour terminer, le personnage qui tient le serpent représente la prudence ou la sagesse.
 

La définition de ces vertues cardinales, qui seront complétées par trois vertus théologales (foi,espérance,charité), apparaît dès Pythagore et sera repris par Platon (427-346 av JC), Aristote et les pères de l’Église (Grégoire, Jérome, Augustin, Ambroise - IV au VI ième siècle). Leur représentation symbolique sera courante jusqu’au XVII ième siècle (les livres d’emblèmes).

On voit que du IV ième au XVII ième siècle ces symboles n’avait rien d’ésotérique et étaient parfaitement clair pour la majorité du peuple chrétien. Les symboles ci-dessous leur sembleraient certainement plus obscurs :

symboles_modernes.png

On pourrait sourire de ce mélange de genre entre animaux réels et imaginaires ou des représentations approximatives d’animaux. Il est clair que le sculpteur n’a certainement jamais vu d’éléphant. Cela fait plus de 400 ans qu’aucun éléphant n’a circulé en europe. Le dernier étant Abul Abbas, un éléphant d’inde, cadeau en 802 de Haroun al-Rashid, calife de Bagdad à Charlemagne et qui passa peut-être par Metz pour rejoindre Aix-La-Chapelle où il vécu jusqu’en 810.

En réalité ces représentations approximatives ne sont pas de l’ignorance.
La pensée dominante du monde occidental au moyen-âge est le “réalisme” platonicien. Du fond de sa caverne l’homme ne peut pas avoir la connaissance du monde réel, il n’en perçoit que quelques signes. Cette philosophie est utile à l’Église : Dieu est réel puisque on en voit les signes. Le symbole est alors auto-suffisant pour témoigner de l’existence de Dieu.

La philosophie de Platon est intégré au christianisme dès les Pères de l’Église. Il apportera l’autorité des anciens malgré leur paganisme. Lorsqu’on découvrira à partir de 1230 grâce aux traducteurs et philosophes musulmans, Avicenne (980-1036) ou Averroès (1126-1198), que le pensée pré-rationnelle d’Aristote ne se limitait pas à la dialectique mais également à la métaphysique, il faudra toute l’habileté des raisonnement tortueux de Thomas d’Aquin (1224-1274) jusqu’à la “Docte ignorance“ (1440) de Nicolas de Cues, pour rejeter pendant encore quelques siècles les débuts de rationalisme apporté par les nominalistes comme Guillaume d’Ockam (1285-1347) ou Nicolas d’Autrecourt (1299-1369). Ce dernier après sa condamnation doctrinale en Avignon de 1346 devra publiquement abjurer. Ses écrits seront brûlés devant les membres de l’Université de Paris. Il s’exile à Metz où il sera élu doyen du chapitre de la cathédrale en 1350.

Les lectures modernes ésotériques des symboles du portail de la vierge pratiquent également un raisonnement très platonicien : convaincues de l’existence de leurs théorie alchimique ou maçonnique, elles trouvent des secondes lectures initiatiques pour interpréter ces symboles et ainsi valider leurs théories. Mais, si ma tante en avaient, on l’appellerai “mon oncle”. (Pierre Dac)

Pour en revenir à notre portail, ces symboles sont trop répandus au moyen-âge pour nous apporter une information utile. Il est cependant curieux que les symboles du tétramorphe soient associés à leur statues respectives alors qu’il n’y a pas ce type de relations avec les autres symboles. De la même façon, il est étrange qu’il n’y ait pas une stricte opposition entre le bestiaire de droite et le bestiaire de gauche. Ces incohérences s’ajoutent à la listes des questions sur la restauration de ce portail.