Ce sont des protestants qui ont construit la cathédrale de Metz ?

Alors que je lisais un blog messin, je suis tombé sur le sujet «à quoi sert le FRAC ?» (Fond Régional d’Art Contemporain de Lorraine). L’argument principal est que cela coûte trop cher et que le Centre Pompidou Metz est maintenant suffisant.

En guise de réponse j’ai essayé d’expliquer l’intérêt d’une politique culturelle. La politique doit avoir une vision à long terme et la culture doit apporter une interrogation permanente de nos croyances pour que l’on ne se cantonne plus dans une docte ignorance.

Comme exemple de mauvaise politique qui se cantonne essentiellement à une vision financière, j’ai comparé l’échec du minitel en opposition à la réussite d’internet. À mon sens la conception du minitel est caractéristique de notre culture de catholiques latins où l’on privilégie les hiérarchies et systèmes complexes et internet est caractéristique du pragmatisme protestant. J’ai abordé déjà ce sujet dans ce billet qui mentionne l’opposition entre réalistes et nominalistes comme Ockham ou Nicolas d’Autrecourt.

Parmi les questions plus ou moins intéressante que ce troll des cavernes a déclenché. Je retiens en particulier celle-ci : «Ce sont des protestants qui ont construit la cathédrale de Metz ?»

Cette question ironique ou naïve est beaucoup plus intéressante qu’elle n’y parait d’un premier abord.

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Une première réponse simple est : non, puisqu’ils n’existaient pas. Les travaux de le cathédrale de Metz sont terminés en 1525 alors que le terme protestantisme n’apparaît que en 1529. Cette année Martin Luther qui est excommunié depuis 1521 pour ses 95 thèses de 1517, publie également ses petit et grand catéchisme. Inutile de retenir toutes les dates qui vont suivre, l’essentiel est la chronologie des évènements.

Une seconde réponse plus développée est : ce n’est pas les protestants qui créent les cathédrales, c’est les cathédrales qui créent les protestants.

Revenons à Metz. En 1498 le chapitre décide de terminer les gros travaux du coeur toujours de style ottonien alors que la nef est gothique. L’évêque Henri lègue une forte somme au chapitre de la cathédrale sous condition que son neveu Jean soit évêque à partir de 1518. Ceci sera approuvé par une bulle d’Alexandre VI. Pour collecter des fonds supplémentaires l’évêque Henri pardonne, par une lettre pastorale du 10 novembre 1504, «tous les excès, les rapines et prêts usuraires que pourraient faire ceux qui contribuent par leurs aumônes à la construction de la Cathédrale». Les travaux furent également retardés à partir de 1515 et 1519 suite aux importants subsides apportés à Léon X pour l’aider à terminer la basilique Saint Pierre de Rome. Cette vente d’indulgences au bénéfice du Vatican s’est généralisée dans toute la chrétienté. Le titre réel des 95 thèses de Martin Luther est : «Martini Lutheri disputatio pro declaratione virtutis indulgentiarum». - Dispute de Martin Luther sur la puissance des indulgences.

Un troisième développement possible est anachronique. Si l’on considère que les protestants existaient avant les cathédrales, ils n’auraient toujours pas construit de cathédrale puisque la doctrine protestante rejette les dévotions populaires et les images.

L’argument n’est plus totalement anachronique si l’on remplace protestantisme par catharisme. Cet autre schisme chrétien, défini sous ce nom à partir de 1163, s’oppose également à l’Église romaine et à ses fastes. Au contraire des protestants, les albigeois ne bénéficieront pas du support de l’imprimerie pour diffuser leurs thèses. Le catharisme sera déclaré hérétique et sera éradiqué par la “croisade contre les albigeois” et l’inquisition entre 1208 et 1249. Ce retour à l’ascétisme n’est pas réservé aux hérétiques. Il est aussi prôné dans les monastères comme à Clairvaux par Bernard de Clairvaux (1090-1153).

L’architecture gothique va prendre le contre-pied de cette tendance rigoriste en cherchant à créer des monuments plus grands, plus impressionnant, plus lumineux pour impressionner les fidèles. Ce sera les objectifs de l’abbé Suger lors de la rénovation (1135) de la basilique Saint-Denis, la nécropole des rois de France.

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Ce rejet des images en particulier religieuses par les protestants provoquera une nouvelle évolution dans l’art. En Allemagne, Angleterre, Pays-Bas, les peintres ne recevaient plus de commandes de tableaux d’autels. Avec la perte de ces commandes religieuses, il ne leur restait que le portrait où Rembrandt excella et ils “inventèrent” la peinture de genre : Bruegel puis Vermeer avec leurs scènes de la vie quotidienne, les natures mortes ou encore les scènes maritimes. Ce point est important pour la dernière réponse à la question.


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La dernière réponse à la question «Ce sont des protestants qui ont construit la cathédrale de Metz ?» mérite enfin un presque oui.

En effet, il s’agit de ne pas confondre la religion protestante et la culture protestante. Ainsi les tableaux de marine sont issus de la culture protestante alors que la religion n’a jamais émis d’avis sur ce sujet. Le devoir de lire la Bible crée dès le XVIième siècle une élite qui sait lire alors qu’à cette époque le catholique doit se contenter de l’interprétation latine souvent approximative du prêtre. L’exigence intellectuelle est une caractéristique culturelle et n’est pas directement lié à la religion. Lors du troll, Ouly a très justement défini la culture comme la relation à l’environnement direct. Or notre environnement actuel est protéiforme, il est forgé par le temps, l’histoire, par nos activités, nos centres d’intérêts. Moi qui suis absolument athée, j’ai une culture catholique de part ma vie en France et mon éducation. J’ai une culture scientifique de part ma formation et pleins d’autres centres d’intérêts que je ne détaillerai pas. J’ai également sans doute comme tout le monde des traces de culture protestante, les films et séries américaines en sont de bon pourvoyeurs. Au contraire, mon absence de culture japonaise me rend les mangas totalement obscurs. Si éventuellement je les comprends, je suis incapables d’estimer leur qualité.

Nous avons vu que la doctrine protestante n’aurait pas construit de cathédrale mais la culture protestante qui est également une culture chrétienne n’y aurait trouvé aucune objection. D’ailleurs individuellement des protestants allemands ont certainement participé à la rénovation du monument à partir de 1870.

Pour ceux qui ont eu le courage ou la patience de lire jusqu’ici, il est temps de conclure.

À la question «Ce sont des protestants qui ont construit la cathédrale de Metz ?» je pense avoir démontré que l’art est étroitement lié à la culture de chacun. Pour des œuvres du passé, il est indispensable de s’intéresser à l’histoire de l’art. Personne n’apprécie de nos jours spontanément le sfumato Mona_Lisa.jpg. Comme cette connaissance n’est pas innée, je vous recommande particulièrement “Histoire de l’art” de E.H. Gombrich dont j’ai mis la photo en tête de cet article. Ce livre date des années 50 et est continuellement ré-édité. Vous le trouverez sans problème. Il est particulièrement bien écrit et très facile et agréable à lire. Rassurez-vous vous ne deviendrez pas plus que moi, critique d’art, mais vous y apprendrez sans doute les notions élémentaires. Certains découvrirons que l’esthétique n’est qu’une notion secondaire, parfois même inexistante ou que la valeur de l’expression de l’artiste ne date que du XXième siècle.

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Profitez de l’exposition actuelle du Centre Pompidou Metz pour découvrir une excellente introduction à l’histoire de l’art. Vous apprécierez les œuvres exposés, ni pour leur prix, ni pour leur célébrité mais pour leur impact dans l’évolution de l’art. Ci-contre une œuvre de 1913 de Duchamp, actuellement en exposition.

L’intérêt du FRAC est de vous faire découvrir des œuvres actuelles. Ce n’est pas un musée mais un lieu d’exposition. Il faut bien que l’art contemporain existe si vous voulez qu’il finisse un jour dans un musée d’art moderne. Laissez vous surprendre. Interroger vous. Si une œuvre vous choque, c’est qu’elle interpelle votre culture, laquelle ? Ne cherchez pas l’expression de l’artiste. N’imaginez pas que la réponse est dans votre inconscient freudien. Ne cherchez pas à interprétez toutes les œuvres. Peut-être que certaines vous interpellerons, d’autres ne correspondront pas à vos centres d’intérêts. Personnellement, je suis totalement imperméable à la vidéo contemporaine, sans doute en raison de ma faible culture télévisuelle et cinématographique. Vous pouvez également y ajouter des questions complémentaires : Cette œuvre finira-t’elle dans un musée ? Contribue-t’elle à l’histoire de l’art ? Faites-vous votre avis.

En bonus, voici ci-dessous une photo d’une peinture murale difficile à repérer de la cathédrale de Metz. Il s’agit très certainement de l’apôtre Barthélémy. Est-ce choquant ? Est-ce cruel ? Est-ce de l’art ?

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