Cathédrale de Metz, la cuve de porphyre


carrieres Djebel el Celcileh

À la grande joie de mes enfants qui sont à l’âge où l’on se passionne pour l’égyptologie, était rediffusé cette semaine sur France 3 le documentaire «Enquête sur le Nil» de Frédéric Wilner. Comme souvent l’approche télévisuelle est frustrante : de belles images mais très peu de références. Je n’ai même pas trouvé la date des ces fouilles. Pourtant on entrevoie des éléments intéressants comme l’usage de la 3D pour reconstituer le contenu des carrières d’obélisques.

Quelques images fugaces m’ont cependant plus particulièrement intéressé : alors que l’archéologue français, Philippe Martinez se rend dans le Djebel el Celcileh sur une ancienne carrière de grès, étudier une statue inachevée de Ramses II, on aperçoit pendant quelques instant (comme vous pouvez le constater sur l’image ci-contre) une autre monument inachevé : une baignoire romaine.

Même si cette introduction semble s’éloigner des thèmes habituellement traités sur ce blog, j’ai trouvé que c’est un bon prétexte pour vous parler d’un trésor archéologique conservé à la cathédrale Saint Etienne de Metz et trop souvent négligé : la cuve de porphyre qui se trouve dans la première travée, sur l’emplacement de Notre dame de la Ronde. On se contente généralement de la présenter comme une baignoire romaine qui servit de baptistaire. C’est l’occasion de se poser plusieurs questions : c’est quoi le porphyre ? de quand date-elle ? qu’elle est son origine ? quand a-t’elle été utilisée ? pourquoi se trouve-t’elle à cet emplacement ? Je vais essayer de vous apporter quelques éléments de réponse dans ce billet.

Cathedrale de Metz NDR cuveporphyre
Cathedrale-metz_cuve-porphyre.jpg




Le porphyre est une roche magmatique. Le magma s’est refroidi et solidifié sans avoir été en contact avec l’air libre. C’est une roche particulièrement dure, quasiment inaltérable. Résistante à l’abrasion et difficile à polir, elle est donc coûteuse à travailler. Pour l’antiquité c’est un “marbre” : une “pierre resplendissante” lorsqu’elle est lustrée.
Mais son principal intérêt est sa couleur rouge (tachetée de blanc). Bien avant l’époque romaine et jusqu’en plein Moyen Age, le rouge, avec le blanc et le noir sont les couleurs de base de tous les codes sociaux. Michel Pastoureau l’explique par la sensibilité à la luminosité et la densité de ces couleurs2. La densité du rouge permet de représenter les notions de force, de richesse, de prestige3. Il était donc particulièrement intéressant de disposer d’une pierre permettant de réaliser des œuvres rouges. Avec la conquête de l’Égypte en 31 av JC, les romains ont désormais accès aux seules gisements connus de l’antiquité dans les Monts Porphyrites (Djebel Dokhan). Les ouvrages en porphyre rouge sont donc des objets de luxe. La complexité de réalisation de ces objets, nous permet de raisonnablement considérer que cette cuve en porphyre rouge de la cathédrale de Metz provient d’Égypte.


Cuve de porphyre Metz - monuments historiques


Il existe encore de nos jours une centaine de cuves romaines oblongues en pierre principalement de deux types (à plan rectangulaire, type A ou à plan oval type B)1 dont une vingtaine en porphyre. L’homogénéité de style de ces types laisse penser à une production quasi industrielle et il devait sans doute exister des modèles de références qui n’ont pas été identifiés. L’usage de ces cuves à l’époque antique n’est pas réellement déterminée. Il est clair qu’elles s’inspirent de baignoires en bronze où les anneaux latéraux étaient utiles au transport. Cependant c’est anneaux ne sont plus que décoratifs sur les cuves de pierre. Il semble que ces cuves ont eu un usage de sarcophage funéraire de façon sporadique dès Néron. Lorsqu’elles ont été découvertes, en situation, dans un cadre thermal comme à Karanis rien ne permet d’affirmer qu’elles aient eu un usage pour le bain. Il est actuellement plus couramment admis que l’usage original de ces cuves de pierre étaient essentiellement décoratif en particulier comme bassins de fontaines1.

Type A
Type B

La réutilisation de ces cuves au haut Moyen Âge a permis leur conservation. Elles ont encore servi de sarcophage comme par exemple pour le tombeau de Théodoric le Grand (455-526), roi des Ostrogoth à Ravenne. Cette cuve de porphyre est d’ailleurs très proche de celle de Metz. Elles peuvent également servir de reliquaire ou d’autel comme dans les basiliques romaines de Santa Croce in Gerusalemme ou San Bartolomeo all’Isola. Un dernier ré-emploi courant qui nous intéresse plus particulièrement et celle de cuve baptismale. On trouve une cuve de porphyre rouge à la cathédrale de Milan (le Duomo). En France, il existe la cuve de Dagobert qui provient du trésor de Saint-Denis, parfois présentée comme le baptistère de Clovis et celle de Metz. Ces cuves étaient destinées au baptême par immersion partielle ou totale.

Rome -Santa Croce in Gerusalemme

Rome - San Bartolomeo all Isola

Rome - San Bartolomeo all Isola

Ravennes - Mausolé de Théodoric

Rome -Santa Maria in Cosmedin

Milan - cuve du Duomo

Louvre - cuve de Dagobert

Louvre - collection Borghese

Metz - cuve de porphyre de la cathédrale






Ces cuves de porphyres rouge on été produites en Égypte entre le Ier et le Vème siècle et sans doute à Alexandrie. Les ouvriers qualifiés pour réaliser ce genre d’ouvrage ne devait pas être très nombreux et très certainement réunis au même emplacement.
La cuve de Metz comme celle de Ravenne sont datées du IVème siècle en raison de leur finition grossière1. Cela se constate en particulier sur la cuve de Metz avec la tête de panthère entre les anneaux. En accord avec la tradition, cette cuve provient sans doute d’un de termes de la ville. Je vous parlerai peut-être de ces termes dans un futur billet maintenant que j’en ai l’occasion.


Détail sacramentaire de Drogon

L’usage d’une cuve romaine à Metz pour le baptême est attestée en 840 par sa représentation sur la plaque d’ivoire de Drogon5. Le cérémonial du XIIème dont je vous ai déjà parlé dans le billet «Cathédrale de Metz, Notre Dame de la Ronde, 1207» nous indique que cette cérémonie se déroulait dans un bâtiment dédié : le baptistère. La position exacte de ce bâtiment n’est plus connue. Celui-ci a été détruit lors de la reconstruction de Notre Dame de la Ronde au XIIème siècle et peut-être même plus tôt. En effet, le baptême par immersion était petit à petit tombé en désuétude après l’Admonitio generalis de Charlemagne en 789 qui impose le baptême des enfants avant l’âge d’un an4. Cette cérémonie sera alors déléguée aux églises paroissiales. On peut imaginer qu’elle a encore été utilisée pendant un certain temps comme bassin d’eau bénite comme pour la cuve de Dagobert à Saint Denis.

Lorsqu’en 1807 l’impératrice Joséphine a voulu la faire racheter par le préfet pour ces jardins, nous apprenons par les lettres de protestations de l’évêque Jauffret que la cuve était entourée d’une balustrade jusqu’à la révolution6. Elle se consolera certainement en 1808 avec la cuve de la collection Borghese, conservée actuellement au Louvre avec la cuve de Dagobert. On peut noter que le goût pour le porphyre est réapparu bien avant le tombeau de Napoléon contrairement à ce qui est généralement annoncé.

J’espère que ce billet vous permettra d’apprécier la cuve de porphyre rouge de la cathédrale de Metz à sa juste valeur. ( et que vous cesserez de l’appeler “baignoire” ;-) )

Crédits photos

  • Wikimédia Commons a fourni la photo du mausolée de Théodoric, sous licence Public Domain par Nicolò Musmeci, et la photo du Duomo de Milan en license CC-by-SA par Giovanni Dall’Orto.
  • Les photos des églises de Rome, Santa Maria in Cosmedin, San Bartolomeo all’Isola et Santa Croce in Gerusalemme, sont tirées du site http://lieuxsacres.canalblog.com, les conditions d’usage ni sont pas précisée.
  • Les photos de la cuve de Dagobert, de la cuve de la collection Borghese et de la cuve de Metz découverte proviennent du ministère de la culture, RMN
  • L’extrait du sacramentaire de Drogon provient de Galica.
  • Les autres photos sont de moi et sont comme d’habitude en licence CC-by-SA

Sources et références

  1. Annarena Ambrogi, Vasche di età romana in marmi bianchi e colorati, L’ERMA di BRETSCHNEIDER, 1995
  2. Michel Pastoureau, Bleu. Histoire d’une couleur, éditions du Seuil, 2002
  3. Michel Pastoureau, Noir : Histoire d’une couleur,éditions du Seuil, 2008
  4. Alain Erlande-Brandenburg, Qu’est-ce qu’une église ?, Gallimard, Paris, 333 p., 2010
  5. Monuments historiques, Cuves baptismales et fonts baptismaux : évolution formelle avant le XVIe siècle
  6. Jean-Baptiste PELT, Documents et notes relatifs aux années 1790 a 1930, note 314, 1930