Portail nord de la cathédrale de Metz : le bestiaire de Thèbes

Nous avons pour l’instant examiné quatre panneaux situés sur l’ancien portail nord de Notre Dame de la Ronde, la collégiale intégrée dans la reconstruction gothique de la cathédrale Saint Etienne de Metz au XIIIème siècle.

Il nous reste encore deux panneaux à découvrir sur ce portail. Voici le panneau qui nous intéresse pour ce billet :

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Si vous avez eu déjà eu l’occasion de contempler les deux derniers panneaux, vous savez déjà que ceux-ci sont les plus obscures.

Ce mélange de scènes de chasse, de personnages et d’animaux fantastiques sont généralement présentés comme des scènes décoratives ou des fantaisies d’artiste.

Cependant parler d’artiste au Moyen Âge est anachronique. Il s’agit de mettre en œuvre les procédés techniques qui permettent de réaliser correctement les images 1. L’artiste est alors surtout un artisan.

L’œuvre est en réalité une commande. Si la part de liberté ou les capacités de proposition de l’artisan sont difficilement déterminables, il est certain que le thème est fixé par le commanditaire. L’importance du lieu d’exposition, visible à tous, n’autorise aucune fantaisie.

Lors de l’étude des précédents panneaux, nous avons vu que chercher une lecture globale par panneau au lieu d’isoler chaque figure dans son cadre permettait d’avoir une hypothèse d’interprétation crédible même si le texte n’est plus connu.

En cherchant des références textuelles sur les animaux fantastiques, le livre III des Métamorphoses d’Ovide m’a particulièrement interpellé 2.

Ovide, Publius Ovidius Naso, né le 20 mars 43 av. J.-C. et mort en 17 ap. J.-C. est un poète romain. Les Métamorphoses est un long poème en 15 livres (chapitres) qui décrit l’histoire du monde, du chaos original, à la mort de César. Ovide intègre la mythologie grecque à la mythologie romaine. Si vous ne le connaissez pas, amusez vous à lire le premier chapitre et le comparer avec la Genèse 3.

La fin du livre III décrit en particulier la mort de Penthée par les Bacchantes (les Ménades grecques), les participantes au culte de Bacchus. Alors qu’elles célèbrent leurs rites que Penthée veut interdire, elles l’aperçoivent sous la forme d’un énorme sanglier, le pourchassent et le mettent à mort.

Il apparaît dans l’image ci-dessous que le personnage face au sanglier semble réellement en relation avec celui-ci. Le port de cheveux longs et surtout d’une robe longue, alors qu’il ne s’agit pas d’un clerc, pourrait confirmer qu’il s’agit d’une femme.

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On peut comparer cette scène à l’illustration ci-dessous de Ludovico Dolce même si celle-ci date de 15584, soit 3 siècles plus tard si l’on conserve l’hypothèse de création de ces panneaux autour de 1260.

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La présence du très beau cerf à l’agonie, que l’on peut associer à la scène abimée avec un chien, peut être vu comme la punition d’Actéon transformé en cerf et dévoré par des chiens pour avoir surpris Diane au bain.

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Le livre III raconte le destin de la ville de Thèbes. Celle-ci est fondée par Cadmos, frère d’Europe enlevée par Jupiter déguisé en taureau.
Une vache indique à Cadmos la position de sa ville. Il doit cependant abattre un dragon et semer ses dents pour obtenir des guerriers.

La scène suivante peut être associée à ce dragon, le taureau pourrait correspondre à Jupiter ou à la vache qui a servi à déterminer le lieu de la fondation de la ville.

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Si l’on persévère à chercher des correspondances entre ce livre III et les figures du panneau, nous pouvons identifier le personnage nu et penché comme étant Narcisse. Ovide précise qu’il meurt après avoir déchiré sa robe. Il présente également le devin Tirésias qui prophétisait pour Narcisse : “Il atteindra la vieillesse, s’il ne se connait pas”. Tirésias a obtenu son don de voyance de Jupiter après que Junon l’ai rendu aveugle pour l’avoir contrariée. La chouette, aveugle le jour et symbole de sagesse, pourrait correspondre au plus célèbre oracle de Thèbes.

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Certes Ovide ne cite ni hibou, ni chouette et les autres figures du panneau n’apparaissent pas dans le livre III ni dans d’autres livres des Métamorphoses. Cependant cette concentration d’éléments de la légende de Thèbes nous autorise a pousser un peu plus loin cette hypothèse. En particulier il apparaît clairement dans la figure ci-dessous un sphinx.

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La résolution de l’énigme du sphinx par Œdipe lui a permis de devenir roi de Thèbes mais il en sera ensuite chassé comme un bouc émissaire.

Je n’ai pas trouvé de source qui permette d’affirmer totalement cette interprétation mais le thème de la légende de Thèbes semble se confirmer. Une autre légende est particulièrement répandue dès le XIIème siècle à partir d’un des premier romans français : le roman de Thèbes. Ce roman décrit la bataille fratricide pour le trône de Thèbes entre les fils d’Œdipe : Polynice et Étéocle. Le combat de coqs ci-dessous pourrait en être l’illustration.

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Pour terminer la figure de l’homme qui tombe est relativement explicite : la chute de l’homme correspond à la fin de la légende de Thèbes. Le destin de cette ville créée et alimentée par de multiples fautes se termine dramatiquement.

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Il n’est pas inutile de rappeler l’importance des auteurs antiques pour le monde chrétien médiéval. D’une part les Pères de l’Église sont de culture romaine classique mais surtout la religion chrétienne est une religion révélée. Les auteurs de l’antiquité sont alors respectés pour leur autorité et ils annoncent plus ou moins clairement l’arrivée de la vraie religion. J’avais déjà abordé ce sujet lors de l’interprétation des symboles sur le portail sud de Notre Dame de la Ronde, le portail de la vierge.

Voici maintenant ci-dessous les figures pour lesquelles je ne dispose pas actuellement d’interprétation satisfaisante.

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La position de l’aigle à proximité du taureau et des dragons pourrait indiquer qu’il s’agit de Jupiter. Une des premières scène du livre III narre la séduction de Sémélè par Jupiter. Cette relation enfantera de Bacchus. Même si le lion en haut à droite est souvent associé à Bacchus, nous ne pouvons pas associer Sémélè aux scènes restantes.

De la même façon les animaux restant peuvent être séparés en deux groupes. Les trois premiers à proximité de l’aigle, du lion et du dragon semblent être des chiens ou des panthères avec des coiffes humaines, s’agit il de Bacchantes ?

Les trois autres ont également des coiffes. Si à côté du bélier nous pouvons identifier une manticore, le coq à queue de serpent pourrait être un basilic (avec coiffe). Il s’agirait alors d’animaux exotiques signe d’animalité comme pour le panneau précédent. Cela ne nous aide pourtant pas à donner un sens à leur présence sur ce panneau, d’autant plus que le dernier animal fantastique est un être hybride entre l’homme, le félin et le dragon. S’il s’agit d’une réelle métamorphose entre ces êtres, la source n’est pas les Métamorphoses d’Ovide. Le dernier panneau à étudier dispose d’un plus grand nombre d’hybrides, cela sera l’occasion de s’interroger plus précisément sur leur rôle.

Malgré ces incertitudes, la relation entre ce panneau et Thèbes est très probable. Il apparait également que le texte de référence ne se limite pas aux Métamorphoses d’Ovide. Comme il ne semble pas y avoir d’autres usages similaires de ce texte, on peut supposer qu’il s’agit d’une création locale, un sermon célèbre d’un chanoine influent. De plus les Métamorphoses d’Ovide semble avoir été très diffusées seulement à partir du XIVème siècle avec l’apparition par un auteur anonyme d’un Ovide moralisé : une version en français adapté et commenté. L’usage partiel du livre III pour ce panneau ne contredit toujours pas l‘hypothèse de datation de ces panneaux au milieu du XIIIème siècle.

C’est essentiellement grâce à sa large diffusion que l’Ovide moralisé inspirera les vrais artistes à partir de la renaissance. Voici ci-dessous pour le plaisir des yeux deux exemples célèbres.

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Francois_Boucher_Diane_sortant_du_bain_Louvre_1742.jpg



A gauche le Narcisse du Caravage vers 1594-96 : appréciez les reflets et la tâche de lumière centrale du genoux.

A droite Diane sortant du bain (1742) de François Boucher : les chiens semblent renifler la présence d’Actéon.

Vous trouverez un grand nombre d’autres œuvres mais seulement antiques ou à partir du XVIème siècle dans le lien recensant les iconographies du livre III 4.

## Bibliographie

1 Georges Duby, « Art et société au Moyen Âge », Seuil, 1997, 168 pages
2 Ovide, « Les Métamorphoses », Livre III, Wikisource, URL : http://fr.wikisource.org/wiki/Les_M%C3%A9tamorphoses/Livre_III
3 Ovide, « Les Métamorphoses », Livre I, Wikisource, URL : http://fr.wikisource.org/wiki/Les_M%C3%A9tamorphoses/Livre_I
4 « Iconographie du livre III », URL : http://www.latein-pagina.de/ovid/ovid_m3.htm

Note

Les images des tableaux proviennent de Wikimedia.